Commentaire composé [2]
Je connais très mal cette partie de ma famille.
A vrai dire, je connais très mal ma famille.
Encore une fois, quelqu'un d'autre a commencé à poser les questions pour moi.
A m'ouvrir les yeux.
Christophe, évidemment.
Il fallait quelqu'un que rien n'arrête, quelqu'un qui sait la valeur de tous ces mots de mémoire.
Je suis fille unique.
Ma mère est fille unique.
Mon père est fils unique.
L'arbre est taillé court.
Pas de branche de secours.
Ma grand-mère avait un frère, Georges, mort l'année dernière.
Je l'ai à peine connu.
J'allais passer à mes grands-parents.
Et mon grand-père maternel ?
Trou de mémoire.
Ou plutôt trou de transmission.
Mort à ma naissance, mort de ma naissance ?
Fantôme tellement présent chez ma mère et ma grand-mère qu'elles ont longtemps refusé d'en parler. Moi d'écouter. Je commence à peine à le rencontrer...
Mes grands-parents paternels, eux, sont issus de familles nombreuses.
Onze d'un côté, douze de l'autre.
Catholiques italiens et parpaillots du diois.
C'est un bout du côté parpaillot de mon grand-père qu'on voit là.
Il y a ma grande tante Marthe, l'ainée.
Elle est assise de trois-quart sur une chaise à gauche de ma mère.
Elle a le bon teint paysan, les joues rouges, des petits yeux, le sourire vaguement inquiet.
J'aime bien Marthe, elle est gentille et pleine de bon sens. Elle doit avoir 90 ans aujourd'hui.
Sur la photo, elle porte un tablier tout simple et un chemisier à petites manches. On voit qu'elle a des bras de travailleuse. Ses mains sont posées, très sages, embarassées de n'avoir rien à peler, à porter, à laver, à caresser.
Derrière ma mère, à sa droite, il y a un homme assez jeune, que je ne connais pas. Sûrement le fils de Marthe. Il ressemble à son père, qui est derrière.
Le Père Jouval. Je ne lui connais que ce nom. Un sacré numéro, je m'en souviens encore alors qu'il est mort, il y a bien longtemps. Béret, petite moustache, sourire taquin, on voit bien qu'il va sortir une blague, dans un patois à couper au couteau !
Un peu cachée, à côté, une jeune fille, inconnue. La soeur ?
Derrière Marthe, au même niveau que le "papa Jouval" se tient Jean-Paul comme en echo de béret. Mon tonton ! Celui à qui je dois tout ça et tellement plus.
Jean-Paul a attrapé la polio petit, en se baignant dans la Drôme.
Il est bossu.
C'est un homme merveilleux. Les yeux qui pétillent pour un rien, drôle et fin, plein de charme.
J'ai rarement vu un homme aussi beau...
Je vais le voir de temps en temps, à Saillans. Il ne vieillit pas vraiment.
Il me fait toujours rire, il sèche mes larmes avant qu'elles ne sortent.
Mais il en aime une autre, ma tante Nini, lui dit Virginie et c'est si doux.
Une belle histoire d'amour et d'Histoire.
Le premier mari de Nini était un noble, un fasciste. On est en Italie, dans les années quarante. Il a été tué par la Résistance, je crois. Nini a fuit, est arrivée à Saillans, a trouvé Jean-Paulino. On dit qu'elle s'est mariée avec lui par charité chrétienne et parceque ça l'arrangeait. Je n'y crois pas une seconde. Pas une seconde. Je vois leurs yeux quand ils se regardent. D'amour et d'eau fraiche, pas un sou.
Une icône.
En parlant d'icône... Juste derrière Jean-Paulino et le Père Jouval, en pointe de la pyramide, la Sainte Trinité.
Ma grand-mère, Florence, mon grand-père, Jules Désiré, et mon père, Pierre, tout au bout.
Tout au bout.
Il se tient au mur, c'est tout dire.
Plus loin, c'est le chardon, il ne pouvait pas.
A part ma mère, qui a un sourire d'enfant, très beau, tous ont l'air plutôt crispés.
Les sourires ne sont pas francs.
A vrai dire, mon père a même l'air franchement débile. un petit côté satisfait vraiment énervant.
Une vraie tête de con.
Content d'être loin, loin, loin,
dans le chardon.
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