Goupille
Je me méfie des jeudis.
Depuis longtemps.
C'est une journée qui n'a l'air de rien, mais qui part très souvent en sucette de manière inattendue.
Peut-être la fatigue de la semaine, la perspective du vendredi, dans les starting blocks, je ne sais pas.
Peu importe.
Je me méfie des jeudis.
L'autre jour, c'était pas un jeudi, je me souviens.
Du coup, ça n'a rien à voir.
Peut-être.
Je marchais sur les berges du canal Marne-Rhin avec mon Doudou et nous sommes passés devant un petit campement manouche.
Assez propre et organisé, il est divisé en trois ou quatre espaces de deux ou trois caravanes de tailles variables. Il y a même des pseudo palissades peintes en orange devant un des sous-campements, des poubelles, des rajouts en dur pour agrandir les petites caravanes. Les chiens sont plutôt sympas mais ils aboient quand on passe, pour prévenir.
Je me rends compte que je ne connais pas grand chose de la culture tzigane, que je suis pleine de préjugés merdiques. Je suis vaguement consciente de mon ignorance, mais je ne peux pas m'empêcher de râler quand je vois des potes galérer pour payer un loyer, des impôts, des taxes d'habitation et j'en passe.
Ben oui.
J'ai aussi l'image d'une société où la femme est à la fois révérée, un peu sorcière, et maltraitée.
Un film, où Brad Pitt joue un Tzigane déjanté, à l'anglais mitraillette.
Un Manouche à Dijon, guitariste doué, très sympa, qui parle tellement vite que même moi, avec mon débit d'Italienne, je panne rien.
Une dame qui venait de Roumanie et qui faisait la manche dans mon quartier. Qu'est-elle devenue ?
Les 200 caravanes qui ont envahi le campus il y a quelques années.
Mon Doudou -qui est la tolérance même sinon ce ne serait pas mon Doudou- me dit gentillement que leur situation est difficile, que c'est totalement différent d'une famille (clan ?) à une autre, qu'il n'y a pas plus de délinquance chez eux que la moyenne, que sans adresse fixe pas d'alloc'.
Pas d'alloc ?
Bien sûr, certains donnent une adresse de complaisance, mais quand même, pas d'alloc ?
Alors ils récupèrent, même assez tôt dans la vie des objets qui nous possèdent.
Ils rempaillent, ils ferraillent, ils forrainent.
On a une copine commune qui bosse avec Amitié Tzigane pour créer du lien, mettre les gosses à l'école, dialoguer. Ca fait 30 ans que cette association bosse avec eux et ça commence à peine à porter ses fruits. Certaines nanas se sédentarisent, avec difficulté, pour leur mômes.
La diversité qui se cache derrière les mots "manouche", "tzigane", "rom", "gens du voyage" (lequel ?) m'échappe.
Manque de curiosité.
Confort TF1.
Mais là, on passait devant,
et tout est soudain devenu plus concret.
Un jeune homme d'une vingtaine d'années s'activait au rateau pendant qu'un plus agé entretenait un feu de palettes. En s'approchant, Doudou me dit qu'ils sont en train de récupérer du cuivre ou du plomb, en faisant fondre des bobines "récupérées", des trucs et des machins.
On jette un oeil en passant. C'est impressionant cette mini coulée à l'air libre, là, juste à côté de moi.
Ca coule sur un plan incliné en tôle, tout en refroidissant, ensuite le jeune gars jette les bouts informes dans un camion genre pick-up.
La matière est grisâtre.
On demande.
Un peu méfiant, le jeune nous répond : c'est de l'alu.
De l'alu !
Sans protection, à l'air libre,
à main nues.
Il n'a pas vingt ans.
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